Participation au Concours de nouvelles

Concours denouvelles

La Galerie d’Art Albert Bourgeois, en partenariat avec la médiathèque La Clairière, a proposé un concours de nouvelles autour des œuvres de l’artiste Patrick Serc exposées de janvier à avril à la galerie dans le cadre d’une exposition sur les livres d’artistes.

Les candidats étaient invités à rédiger une nouvelle portant sur « l’attente de la femme ». Parmi une soixantaine de participants, Juliette Hayer, élève de 1re L de Mme BARAER, a obtenu le prix de la catégorie lycéens pour sa nouvelle Elle avait un peu d’avance et a été récompensée par une œuvre de Patrick Serc.

Elle avait un peu d’avance

C’était une nuit claire de début d’été. Je la contemplais, debout en chemise de nuit, et je n’allais pas dormir. Malgré le calme et la fraîcheur, l’attente n’était pas aussi agréable que je l’avais imaginée. Pendant des mois, j’avais doucement patienté, en berçant des espoirs dans ma tête creuse de gamine. J’avais imaginé une jolie histoire qu’on aurait pu réaliser tous les deux, plus tard. Je récoltais les signes discrets qu’il semait derrière lui, preuves d’une affection pour moi ? C’était un jeu. Ces petits détails insignifiants qui me faisaient rêver, je les recueillais et je les plaçais précieusement sous mes cheveux, pour enrichir cette romance imaginaire, à vivre un jour, quand il serait temps. Mais cette nuit là, je réalisai que ce temps était quasiment venu. Toute la jolie histoire que j’avais construite et espérée sans impatience jusqu’à maintenant, je devrais bientôt l’oublier, parce que j’allais la vivre. Ça allait commencer. Il me restait quelques heures à attendre, jusqu’à notre rendez-vous, fixé à 14h. Les choses avaient changé. Les mots avaient été dits, il n’y avait plus d’indice douteux à recueillir, il n’y avait plus rien à inventer. Il fallait se débarrasser de ces imaginations, je devais arrêter de divaguer dans mes scénarios merveilleux, faire de la place pour les souvenirs qu’on construirait bientôt, qui seraient réels, et que je ne pouvais pas deviner à l’avance. Je ne devais plus inventer, et je ne pouvais pas encore savoir. En attendant d’avoir ces souvenirs, dans le noir, l’appréhension commença sournoisement à se nicher dans ma tête. Il me restait toute la nuit. Ce roulis bruyant répandit de lourdes traînées de suie comme autant de doutes contre les parois de mon crâne. L’incertitude s’y était faite sa place, et pesait de tout son poids. Plus rien n’était sûr, tout était bancal désormais. Je ne pouvais plus faire confiance aux sous-entendus, aux espoirs, je ne pouvais même plus compter sur mes jambes instables, qui à force de gambader, flancheraient face à la réalité. Comment croire qu’elles pourraient me mener au rendez-vous ? Tout avait été précipité. En une semaine, on avait tout bouleversé, tout chamboulé avec des aveux. On avait mis les pieds dans le plat, on y avait même sauté à pieds joints. On y était peut-être tombés, poussés par la force des choses. Et alors que tout était allé trop vite, on se retrouverait tous les deux dans la même patouille, face à face, dans quelques heures. Dans quel état serai-je, ça aussi c’était une question. Pour l’instant, mes nerfs en pelote s’enchevêtraient tous ensemble, comme un stupide tas de spaghettis flasques. J’étais perdue, empêtrée dans un amalgame de sentiments trop contradictoires. Il y avait les inquiétudes, et tournant tout autour, je remarquai l’envie. Un satellite imperturbable dans sa course, enveloppant le chaos d’astéroïdes, éternellement. L’envie serait toujours là, ignorant les doutes, le manque de confiance, et parfois aussi la retenue raisonnable. A force de préoccupations trop sérieuses, l’envie que j’avais réprimée fit éclater son enthousiasme. Je compris alors que recommencer à jouer, c’était déjà gagner le plaisir du jeu. Même si le fantasme ne se réaliserait jamais, le désir s’en foutait, il voulait s’exprimer « … on pourra faire semblant de se frôler les joues. Ensuite on pourra admirer nos mots s’enfuir de nos bouches quasiment closes, se rejoindre quelque part entre nos quatre yeux pour s’enlacer à notre place. Et on sera les seuls au monde à voir ça, avec nos yeux d’enfants. ». Le jackpot explosa dans mon crâne, avec des couleurs qui s’illuminèrent une à une jusqu’en haut, et au sommet un feu d’artifice de confettis. Ensuite, lorsqu’ils retombèrent, tout s’éteignit, il faisait noir, le désir avait tout carbonisé à l’intérieur de ma tête. Désemparée, je me retrouvai plongée dans un silence entouré d’obscurité. Ça devait être le milieu de la nuit, le milieu du néant. Après toute cette agitation, il n’y avait finalement plus d’excitation, ni d’angoisse, ni plus rien. Tout le petit monde au-dessus de ma nuque se pétrifia, mes cheveux se dressèrent, tétanisés par le calme. Ma tête, toute attentive à conserver le silence le plus longtemps possible, devint sourde au reste. Et le reste, laissé seul, se vida. Sans plus penser, sans rien guetter, sans compter les secondes, je n’avais plus qu’à laisser le temps couler entre mes doigts inconsistants. J’avais encore besoin de courage, il ne restait plus qu’à attendre. Si je voulais, je me levais, sautais jusqu’au ciel, empoignais mon audace, la serrais fermement entre mes ongles, jusqu’à ce que mes poignets fragiles tremblent, et alors, lorsque mon estomac et mes tripes frétilleraient, qu’à l’intérieur les petits nerfs rongés d’excitation se confondraient enfin avec les tremblements d’angoisse, à ce moment-là, je pouvais faire la plus belle danse désarticulée qu’on n’ait jamais faite. Si mon corps était trop frêle pour tenir debout, je n’avais qu’à décider de danser. Et ma tête pleine d’appréhension et d’envie, en gouvernail fou, emportée par son propre poids, guida ma silhouette droit sur la tornade.

Juliette Hayer (classe de 1re, Lycée Jean Guéhenno)